Le thème de la sécurité, ou de l’insécurité, est devenu omniprésent dans le jeu politique local. Ainsi ce ne sont pas moins de 10 articles parus dans Midi Libre qui traitent de ce sujet depuis la rentrée de septembre. Pourtant, force est de constater que le format du Midi Libre n’est certainement pas le meilleur pour traiter de ce sujet dont la complexité nécessite de faire preuve de sérénité et de recul si l’on se donne pour ambition de faire progresser le débat. C’est pourquoi nous nous attachons dans ce journal à publier régulièrement des articles de fond sur le sujet.
Une population très précaire
Aujourd’hui, revenons sur les spécificités sociologiques de la commune et de ses quartiers. Avec plus de 4000 habitants, soit près du tiers de la population beaucairoise, le centre ancien cristallise toutes les fractures et constitue souvent la toile de fond des échanges houleux du conseil municipal.
Le départ massif des classes moyennes consécutif à l’ouverture à l’urbanisation en périphérie voulue par la municipalité André-Cellier a voué l’habitat du centre-ancien aux ménages les plus pauvres. Ainsi le revenu médian annuel est-il de 9 000 € en centre-ville, contre 13 500 € à Beaucaire, 16 500 € en région Languedoc-Roussillon et 18 300 € au niveau de la France métropolitaine. La population du centre-ancien est la plus pauvre de la ville dont la population est la plus pauvre du département dont la population est parmi les plus pauvres de la région Languedoc-Roussillon dont la population est parmi les plus pauvres des régions françaises.
Une commune riche mais inégalitaire
Ne pas confondre pauvreté de la population et pauvreté de la ville. Ainsi le volume budgétaire de la mairie est-il cette année de 2 045 € par habitant, ce qui est nettement supérieur à la moyenne nationale de 1 770 € pour les communes de même strate démographique.
En revanche, les écarts de richesses sont considérables. Ce constat s’illustre par les valeurs du ratio interdécile de l’INSEE qui mesure le rapport entre le revenu des 10 % les plus riches et celui des 10 % les plus pauvres. Plus ce chiffre est élevé, plus les écarts sont importants. Or il est de 26 pour le centre- ancien, de 10 pour la commune, de 7 pour la région et de 6 pour la France métropolitaine.
« Les immigrés ont pris la place des Beaucairois »
Le taux de chômage de la ville est de 20 % contre 15 % au niveau régional. Or 44 % des chômeurs habitent en centre-ville. Par ailleurs la population beaucairoise est largement sous-qualifiée puisque 30 % de sa population est sans diplôme contre 18 % au niveau national. Si l’on ajoute à cela un taux d’étranger de 27 % en centre-ville contre 14 % à l’échelle de la commune, et un racisme latent qui s’entend dans de nombreux propos – «Les immigrés ont pris la place des Beaucairois» qui laisserait supposer que cette population ne serait pas beaucairoise et n’aurait pas légitimité à y vivre-, tous les ingrédients du «ghetto» semblent ici rassemblés.
Le trafic de drogue enkysté
Certes, globalement la tendance des chiffres de la délinquance est à la baisse. Toutefois, si l’on entre dans le détail, certains aspects demeurent très préoccupants. C’est notamment le cas des infractions à la législation sur les stupéfiants qui sont passées de 6 en 2000 à 79 en 2010. L’économie souterraine du trafic de drogue semble donc s’être installée durablement à Beaucaire. Ce domaine est du ressort de la Police nationale, mais les moyens déployés en termes d’investigation sont probablement insuffisants au motif que l’agglomération de Beaucaire – Tarascon continue d’être un enjeu secondaire en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants face à des villes comme Nîmes et surtout Marseille.
Sentiment d’insécurité
Les chiffres ne sont qu’une représentation simpliste d’une réalité autrement plus complexe. Il convient d’évoquer le concept de «sentiment d’insécurité». C’est probablement une des erreurs de la municipalité actuelle que de ne chercher ni à le définir, ni à le quantifier. Ce constat est d’autant plus surprenant que la mesure du sentiment d’insécurité était prévue dans le dispositif d’évaluation du volet prévention de la délinquance du contrat urbain de cohésion sociale (CUCS) 2007-2009. Ce sentiment est-il généralisé ou non au sein de la population ? Résulte- t-il d’agressions physiques ou verbales constatées ou est-il seulement la conséquence d’une ambiance générale du quartier entretenue par l’état de dégradation de la voirie et des façades et les dépôts sauvages de déchets de toutes sortes pour ne citer que ces exemples ? La connaissance de ces données permettrait certainement de mieux identifier les actions à entreprendre dont les aspects répressifs ne sont qu’une composante parmi d’autres.
Nettoyage au Kärcher ?
Ce dernier point est fondamental, car la dimension répressive fait souvent l’objet de fantasmes savamment entretenus par le FN et la droite populiste qui laissent entendre que la délinquance relèverait d’un problème de «propreté urbaine» : la solution résiderait dans un dispositif de nettoyage musclé dont la métaphore du «Kärcher» est dorénavant connue de tous. Or il est illusoire de penser que ce type de méthode pourrait avoirune quelconque efficacité contre des troubles mineurs qui constituent l’essentiel des incivilités souvent considérées comme à l’origine du sentiment d’insécurité.
La présence quotidienne sur le terrain d’une police de proximité nous semble ainsi plus efficace que des descentes ponctuelles d’équipes d’intervention accompagnées de cars de CRS.
Ou police de proximité ?
La manière «traditionnelle» d’exercer de la police municipale renvoie à la notion de «police de proximité» qui consiste à allier la prévention, la coopération avec les habitants, et, avec les autres institutions, la connaissance du territoire et la qualité du service rendu à la population de manière à faire reculer le sentiment d’insécurité. Or c’est sur ce point que l’actuelle municipalité nous semble particulièrement déficiente.
En effet, la Police municipale peut afficher des chiffres de mises en fourrière record ou la participation de ses effectifs à la sécurisation des manifestations (abrivado, bodega etc.) : ce n’est pas cela qui contribue à faire reculer le sentiment d’insécurité. Il est important que les personnels acquièrent cette capacité de coopération avec la population qui passe immanquablement par l’abandon le plus souvent possible de la patrouille motorisée au profit de la patrouille pédestre et par une prise de contact avec les habitants qui ne se fasse pas uniquement après une demande d’intervention ou à l’occasion d’une verbalisation. Des formations spécifiques sur la police de proximité existent et il serait selon nous utile que tous les agents de la Police municipale de Beaucaire puissent en profiter.
Le centre de supervision de Beaucaire : autant qu’à Dijon !
L’incapacité de la municipalité à orienter le service de police dont elle a la charge vers des missions de proximité explique certainement l’insatisfaction souvent véhiculée par les Beaucairois sur le sujet et ce malgré une augmentation du budget (+56 % en 5 ans) et le renforcement massif des effectifs.
La mairie a préféré miser sur l’investissement en matière de vidéosurveillance (363 000 € en 5 ans) et ce malgré un rapport coût-efficacité plus que discutable. Rappelons que le centre de supervision emploie 12 personnes (autant qu’à Dijon pour 150 000 habitants), et autant que le nombre de policiers municipaux.
Certaines collectivités n’exploitent pas en temps réel les images qui sont donc simplement enregistrées et conservées durant la période légale. Aucun personnel spécifique n’étant alors affecté à ce dispositif, les 12 postes économisés pourraient ainsi être réaffectés à la Police municipale ou à la politique de la ville.
La mission de proximité est une tâche plus complexe mais plus valorisante
En conclusion, une redéfinition des objectifs et un redéploiement des effectifs des services de la Police municipale et de la vidéosurveillance nous semblent donc indispensables dans la perspective d’une présence accrue sur le terrain. Nous sommes conscients que la mission de proximité est une tâche plus complexe à assumer pour les agents que les seules missions de verbalisation et de sécurisation. Nous pensons cependant qu’elle devrait avoir un impact positif tant sur l’intérêt et la motivation des agents que sur la reconnaissance de la part de la population.
Sources ayant permis la rédaction de cet article : site de l’INSEE, Gazette des communes du 5 novembre 2012, Contrat urbain de cohésion social 2007-2009, Etude Civito 2009, site internet de la Ville de Beaucaire, Bulletin municipal – Ville de Beaucaire Nov./Déc. 2012